Luang Namtha : trek à la rencontre du peuple Akha

Arrivée à Luang Namtha après 9 heures de route

Nous nous attendions à prendre un bus au départ de Luang Prabang, ou, à défaut d’un bus, un minivan comme nous en avions l’habitude depuis le début de notre séjour sud-asiatique. Mais, arrivés à la gare de Luang Prabang, c’est un espèce de gros Scenic qui viendra nous chercher. Nous chargeons nos sacs sur le toit, nous nous entassons à 12 dans ce véhicule initialement conçu pour 10 passagers.

Je souris quand dans ma tête raisonne un air de musique familier :

« 504 break chargée, allez, montez les neveux, juste un instant que j’mette sur le toit la grosse malle bleue »

Tonton du bled de 113

Le trajet va être long, d’autant qu’il doit durer 9 heures. La route est un assemblage de parcelles goudronnées et d’autres caillouteuses, de bosses, de trous. Nous sommes secoués dans tous les sens en plus d’être serrés comme des sardines.

Nous arriverons à Luangnamtha à l’heure du dîner. Direction le marché de nuit, en plein centre ville pour déguster rouleaux de printemps, brochettes de poulet, canard à la broche et gaufres au sucre toutes chaudes. Le tout pour moins de 3$.

Marché nocturne de Luang Namtha

A Luangnamtha, comme un peu partout dans le nord du Laos, il n’y a pas grand chose à faire, à part profiter d’être un peu à l’écart de la foule touristique (qui préfère généralement s’établir dans les régions du sud) et faire des treks pour découvrir sites protégés et ethnies minoritaires. Ça tombe bien, nous avons booké un trek dans le parc national de Luang Namtha via l’agence Into The Wild (ça fait sauvage comme ça), alors après une bonne nuit de sommeil, nous enfilons nos chaussures de marche et partons pour deux jours de rando.

Jour 1 : curieuses découvertes

Un tuk tuk nous attend à 8 heures devant l’office. Nous y rencontrons nos deux guides, Soup et To.

Le marché de Luang Namtha : chiens et pattes de vaches.

Nous nous arrêtons d’abord au marché local, où Soup et To achèteront viande, riz et quelques légumes pour le repas de ce soir.

Pendant ce temps, nous arpentons les allées de cet étonnant marché. Des épices, de la viande, des nouilles, des fruits, … tout y est. Tout, même ce que tu n’as pas envie de voir à 8 heures du matin, enfin que tu n’as pas envie de voir tout court.

Au détour d’un étal de beaux filets de boeuf, nous ne nous attendions pas forcément à tomber sur des pattes de vaches et du chien découpé en morceaux (la ville n’est qu’à quelques kilomètres de la frontière chinoise).

Marché de Luang Nantha : poissons frais

Poissons

Après ces découvertes plutôt sordides, nous remontons dans le tuk tuk et prenons la direction d’un village Akha situé à une vingtaine de kilomètres de la ville.

Visite d’un village Akha : un sentiment étrange

C’est ici que se fera notre premier arrêt. On nous propose de visiter le village et son école, composée de 5 classes de différents niveaux. Oui c’est bien, c’est intéressant, tout ça tout ça, mais nous nous sentons un peu étrangers à ce village que nous venons observer comme si nous rendions visite à nos anciennes colonies.

Très vite, nous nous demandons ce que nous faisons ici : ce n’est pas un musée, c’est le lieu de vie de plus de 500 personnes que nous découvrons de manière organisée et non spontanée. Paradoxalement, je ne peux pas m’empêcher de sortir mon l’appareil photo et de prendre quelques clichés.

Sans pour autant que cela contribue à dissiper nos réticences – réticences non pas à découvrir cette ethnie mais bien à s’imposer chez eux – les enfants nous sourient depuis leurs salles de classe.

Cela me rappelle un peu quand un professeur en formation venait s’asseoir au fond de notre classe de collégiens pour observer le déroulement du cours, je me souviens que nous étions tous un peu gênés et essayions de faire bonne figure, sauf que cette fois, le prof, c’est moi.

Nous reprenons ensuite la route jusqu’au point de départ de notre trek. Nous chargeons nos sacs sur nos dos et, après avoir avalé une gorgée d’alcool de riz chacun pour nous donner du courage, nous commençons à avancer dans la forêt de Luangnamtha.

Nous rencontrons une fermière de 80 ans en train de chiquer du bétel, nous avançons sur ses terres où les vaches sont en liberté. Sur le côté, une petite culture d’ail, de coriandre et de piment qui sert uniquement à sa consommation personnelle. Elle ne fait commerce qu’avec la viande et le lait de ses animaux.

Comment j’ai finalement aimé manger du sticky rice.

Stiky Rice

Une chose est sûre, c’est que la première fois qu’on m’a apporté du sticky rice, j’ai fait une drôle de tête. C’était en arrivant à Thakek : je commande un chicken curry et on m’apporte mon plat avec un petit panier en osier contenant une montagne de riz.

J’essaye d’y planter mes baguettes : impossible d’en détacher le moindre grain. Je m’équipe alors d’une fourchette et arrive finalement mais non sans peine, à en décoller un morceau. Et une fois en bouche, la déception est totale : c’est ultra compact, gluant et sans goût. J’avalerai mon curry d’une traite, sans ne plus toucher à ce riz étrange.

Puis, après, j’ai compris. J’ai compris qu’il ne fallait pas se prendre pour un local quand on n’en a pas l’étoffe et qu’il fallait arrêter avec ces préjugés d’européens mal placés. C’est en observant qu’on apprend, et qu’on comprend donc plein de choses.

En fait, ce riz se mange avec les doigts, il fait en quelque sorte office de cuillère mais de cuillère mangeable. Je m’explique : on décolle un morceau de sticky rice avec ses doigts, qu’on roule en boule entre ses mains, puis on le trempe dans la sauce, soupe, ou tout autre substance liquide mangeable, et on en profite au passage pour attraper la viande ou les légumes qui accompagnent le plat.

Donc, lorsque nous nous arrêtons après une heure de marche pour déjeuner et que nous déballons notre futur festin sur quelques feuilles de bananiers disposées sur le sol, je suis d’abord mitigée quand je découvre ce riz qui, à première vue, pourrait très bien faire office de ciment si vous êtes en train de construire une maison.

Soup chantonne doucement une petite prière puis nous invite à manger. C’est alors seulement là, assise sur des feuilles de bananiers au milieu d’une forêt tropicale, que j’ai apprécié manger ce riz si particulier. J’ai même sur-kiffé en fait.

Reproduisant la façon de faire des Laotiens, que j’avais observé manger dès que j’en avais eu l’occasion, je trempe mon riz dans une délicieuse sauce à la tomate, coriandre et ail, attrape des haricots crus, de l’omelette encore chaude, de la salade de choux.

Il m’aura fallut un mois et demi de voyage pour m’ouvrir à la cuisine locale et apprécier des saveurs que je ne connaissais pas.

Shame on me !

Découvrir et sentir de la nature

Tout ça dans l’estomac, nous aurions apprécié une petite sieste. Que nenni, nous remballons le camp et continuons notre marche :  ici, nous nous arrêtons sentir l’écorce d’un arbre à l’odeur exacte du baume du tigre. Là, Soup ramasse quelques champignons au pied d’un arbre qui serviront pour notre repas de ce soir.

Soup nous montre également les plantes que les Akhas utilisent contre les maux d’estomac. Nous nous arrêtons à nouveau, et sortant sa machette, Soup coupe, taille et affûte un bambou jusqu’à ce que celui-ci prenne la forme d’un verre.

Étape nocturne : abri en feuille de bananier et soupe porc-champignon

Nous continuons de grimper dans la montagne qui devient jungle, jusqu’à arriver à notre campement nocturne : un abri en feuilles de bananier. Il commence à faire froid et nous partons chercher du bois pour allumer un feu. Les plus courageux prendrons un bain dans la rivière qui borde notre campement (moi je passe mon tour). Après avoir retrouvé un peu de chaleur autour du feu qui crépite Soup nous apprend comment préparer du sticky rice : il suffit de faire cuire le riz dans un panier en osier et hop, il devient compact.

Nous mettons la table pendant que la soupe porc-champignon (cueilli en journée) continue de mijoter en libérant des odeurs irrésistibles.  Puis, viens le moment que tout le monde attend : nous passons à table et nous régalons en mangeant avec les cuillères en feuilles de bananier préparées par To, notre autre guide.

Après le dîner, To sort de son sac une enceinte gigantesque et deux bouteilles d’alcool de riz. Nous nous coucherons tard dans la nuit !

Jour 2 – le voyage c’est aussi remettre en cause ses certitudes

Après une nuit plutôt agitée à cause du froid et du faible niveau de confortabilité des feuilles de bananier, nous sommes vite réconfortés par un petit déjeuner gargantuesque : sticky rice (on ne peut plus s’en passer), sauce tomate à la coriandre et haricots verts.

Une fois nos chaussures enfilées, nous levons le camp et continuons à grimper dans la montagne, encore plus belle avec la lumière du matin.

Nous traverserons plusieurs fois des rivières, soit en faisant l’équilibriste sur un tronc d’arbre plus ou moins large, soit, si le niveau de l’eau le permet, en sautillant d’une pierre à l’autre.

Arrivée à la cascade… pas très cascade !

Une heure après, nous arrivons à la «cascade» promise : « Mouais », je ne sais pas si c’est notre oeil d’expert en cascade qui s’est développé après toutes celles vues à Pakse et Luang Prabang, mais j’appellerai plutôt cela un « petit écoulement d’eau le long des rochers ».

En fait, c’est un peu comme ça tout le temps quand tu voyages. Au début, t’es émerveillé, par un singe, une cascade, et puis après, cela devient presque banal. Le plaisir reste le même, mais tu t’habitues au trafic, aux temples, aux moines qui font maintenant partie de ton quotidien. Tu t’habitues à la nourriture délicieuse, à toutes ces découvertes que tu fais chaque jour et à toutes tes journées qui se suivent et ne se ressemblent pas.

Bref, un peu déçus par cette cascade pas très cascade, nous prenons tout de même une petite pause devant ce robinet géant.

Ascension de la montagne : 2h30 de marche

L’air est frais et agréable et nous remplissons nos bouteilles d’eau. Nous repartons de plus belle pour la partie la plus difficile de la journée : deux heures et demie de marche non stop jusqu’au sommet de la montagne, qu’il nous faudra ensuite redescendre sur l’autre versant pour atteindre le village Akha où nous prendrons le repas du midi.

La pente est raide, le sol glissant, nous avançons sur un chemin à peine tracé de quelques dizaines de centimètres de large avec, sur notre droite, rien d’autre que le vide. Puis, nous continuons à grimper mais en attaquant la montagne de front.

Il fait chaud, l’air est humide et la petite nuit que nous venons de passer rend la chose encore plus sportive. Mais arrivés au sommet, nous sommes récompensés par l’incroyable vue sur toute la vallée que nous offre la montagne. Après une petite pause, nous repartons pour une marche plus tranquille jusqu’au village que nous apercevons au loin.

Arrivée au village Akha et faire face à la pauvreté

Dès que nous passons la petite porte en bois qui délimite l’entrée du village, nous sommes projetés dans un monde à part. L’atmosphère est encore plus étrange que dans le village précédent. Le guide nous emmène en haut d’un petit chemin, un peu à l’écart du centre du village.

Nous nous asseyons devant une maisonnette en bois verrouillée par un cadenas et To sort du sticky rice, du thon en boite et des légumes préparés par les villageois. Nous commençons à manger lorsque 3 garçons nous rejoignent : l’un a les dents cassées, tous sont habillés de vêtements déchirés et ne portent pas de chaussures. Ils discutent avec To, rigolent, sourient, fument cigarettes sur cigarettes.

Mais To ne mange pas.

Nous sommes gênées de ne pas pouvoir partager notre repas avec eux, qui, de toute évidence, n’ont pas de quoi se payer une paire de chaussures ou un repas. Et puis, étant donné qu’ils regardent tous les trois nos assiettes avec envie, nous ne savons pas trop si nous devons manger ou non.

Voila comment nous nous retrouvons coincées dans une situation un peu paradoxale : nous sommes là, petites françaises, chez eux, à nous régaler d’un repas alors qu’ils ne semblent pas pouvoir manger tous les jours à leur faim. Nous nous sentons mal à l’aise rien qu’à l’idée de ne pas le terminer et que nos restes soient jetés.

Nous demandons alors à To le sort réservé aux plats que nous n’avons pas pu terminer. Il nous répond, avec une assurance incroyable, qu’ils seront donnés aux cochons. Il débarrasse nos assiettes, les empilent et  les laissent dans un coin de la maisonnette.

Quelques minutes plus tard, je vois l’un des trois s’y engouffrer, fermer la porte à moitié, s’agenouiller et dévorer les quelques morceaux de poissons et le riz qu’il reste dans la marmite.

Alors là, mon estomac est tout retourné, je ne me sens définitivement pas à ma place et regrette d’avoir mangé autant.

C’est aussi ça, les voyages :

  • c’est une remise en question permanente de toutes les certitudes acquises jusqu’à présent,
  • c’est sortir de son quotidien, vivre des choses pas toujours drôles, mais qu’on ne verrait pas ailleurs,
  • ça te permet aussi de prendre conscience de la chance que t’as, toi qui as toujours eu un toit et une assiette pleine,
  • ça te permet de relativiser, peu importe que t’aies perdu tes écouteurs ou plus de batterie sur ton téléphone, ce qui compte, c’est de voyager et de vivre des instants qu’il ne s’agit pas tout le temps de capturer avec ton appareil photo,
  • ce sont aussi des moments de vie que tu n’oublieras pas et qui façonneront, à leur manière, la façon dont tu choisis de vivre.

Après ce repas un peu particulier donc, nous traversons le village pour regagner le chemin qui nous fera rentrer à la ville (enfin on le croyait). Certains nous disent bonjour, sourient, d’autres ne nous regardent même pas passer.

Comment trouver son époux en pays Akha

À côté de chaque maison, se dresse une toute petite maisonnette en bois, d’environ 2 mètres sur 1,20 mètre. En fait, il s’agit d’une «chambre annexe» juste assez grande pour contenir un matelas une place.

Village Akha : maison des fiançailles

Maison des « fiançailles »

À l’âge de 14-15 ans, les filles dorment dedans et attendent qu’un garçon du même âge, ou parfois un peu plus âgé, vienne la rejoindre. Ce que je ne savais pas, et que j’ai appris un peu plus tard par des locaux rencontrés dans un bar de la ville, c’est que les filles sont, en théorie, libres d’accepter ou non les avances nocturnes des garçons. Ensuite, si les deux tourtereaux s’entendent, ils sont libres de rester ensemble ou non. En théorie donc, la fille est libre de choisir le garçon qui lui plaît. Une sorte de Tinder non virtuel donc.

En pratique, je ne saurais jamais ce qu’il en est… toujours est-il que ces pratiques sont propres aux villages Akha et la tradition se perpétue depuis des générations.

Retour à la civilisation

En sortant du village, To nous annonce qu’il ne reste plus qu’une petite heure de marche avant de rejoindre la route où le tuk tuk nous attend. 2 heures plus tard, nous voilà toujours marchant dans la jungle, sous une chaleur étouffante, à grimper / descendre la montagne. Mais ce qui focalise toute notre attention, c’est toujours cette nature qui prend des formes insoupçonnées, des lianes reliant un arbre à l’autre, des troncs immenses qui se suivent sans jamais se ressembler, des cours d’eaux venus de nulle part.

Bref, au moment de quitter la montagne et de regagner la départementale, nous avons les pieds en compote mais l’esprit en pleine forme !

Nous retournons à notre guesthouse, conscientes de notre chance de pouvoir profiter d’une bonne douche chaude et d’un matelas confortable.